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Avec des racines en terre de Bresse, des rêves en Asie du Sud-Est, un culte pour les origines de lhumanité et des tendresses précieuses pour les rondeurs de lécriture, Jacques Le Roux se révèle un artiste complet. Dont la vie, à limage de son uvre, épouse toutes les variations de lâme et de lart.
De sa vie, aujourdhui fort longue, il en parle avec un lyrisme chaleureux dans lequel se mêlent tout à la fois le bonheur et la souffrance, lamour et laversion, lémerveillement et la crainte. Derrière sa voix douce, qui semble tout pardonner, poite un réalisme né dune expérience laborieuse dont il a saisi au passage toutes les aspérités pour les transformer en enrichissement personnel. En lécoutant, se déroulent les heures dune existence dont pas un instant na été perdu ou inutile. Ni les instants des silences, ni ceux des ombres et moins encore ceux des hésitations ou des victoires. Derrière un sourire paisible nimbé de gentillesse, Jacques Le Roux, fragile, cache une force rayonnante et des faiblesses précieuses comme on enferme ses richesses pour ne pas provoquer de convoitises.
Dune mère bressane et dun père breton, installés en Indochine et amoureux de ce pays, il est né à Nice, après leur retour. Les premières années de sa vie se développent illuminées par leurs souvenirs et par la magnificence dune maison superbe dont les terrasses, plantées dorangers, épousent la colline de Cimiez. Aussi, quand son père décide de sinstaller à Nogent-sur-Marne pour que ses fils reçoivent une éducation parisienne, la réalité assène la sensibilité vive de lenfant déjà habitué à la beauté des choses. Maison triste, ouverte sur la cour dun charbonnier, mélancolies de splendeurs perdues, il se désespère des larmes de sa mère, mais son père qui aime la peinture, sauve sa vie. Remarquant les dons de son fils sadonnant au dessin, il lemmène au Louvre tous les dimanches après-midi et parfois même le jeudi !
« Jai eu énormément de chance » dit Jacques Le Roux, admiratif dun père doté dune force puissante et qui a entouré son enfance de beaux objets en provenance dAsie du Sud-Est et daquarelles japonaises. A lâge de quatorze ans, il commence à travailler dans latelier dun peintre, Louis Biloule où, pendant trois ans, il nexécute que des dessins au fusain. Puis
« En 1939 je suis entré à lécole des Beaux-Arts, jy suis resté dix ans, jusquen 1948. Ensuite, il ma fallu dix ans, pour éliminer ce que javais appris aux Beaux-Arts, puis dix ans encore de recherche pour me trouver. »

Un homme dinfluences
Cette recherche va lentraîner, sans quitter Paris, au contact de tous les prodiges du monde. Avec une boulimie dhomme affamé de connaissances, il perçoit les harmonies qui lentourent, sémerveille, se laisse entraîner, sombre dans des passions qui lépuisent mais qui le comblent. Dès la petite enfance, il sacralise les bambous et les cultive depuis toujours dans un coin de jardin. Il selaisse charmer par lart du Japon, influencer par les peintres quil découvre, Claude Monet, Corot, Delacroix quil copie, puis Rembrandt dont il aime le dessin des petites fermes flamandes ressemblant tant à celles de la Bresse où il passe ses vacances denfant. Au Louvre il côtoie les peintres vénitiens, Le Tintoret, Véronèse, se laisse séduire par lampleur des femmes de Rubens. « Jai eu des influences successives dit-il, je nai pas cessé, dans ma vie, dêtre toujours influencé. Je suis sous influences permanentes
»
Les surréalistes, quil rencontre après la guerre, linfluencent aussi. Un temps il adopte ce mouvement si important dans lhistoire de lart, puis sen détache, reprend ses visites de musées et commence à voyager derrière les vitrines. Au musée de lHomme, il découvre lart des civilisations primitives qui, pour lui, ne sont pas du tout « primitives », à celui des Arts Africains et Océaniens lart des aborigènes australiens. Des influences, il en subit encore en admirant les uvres des Péruviens, des Incas, des Mayas, des tribus Dogon, celles des hommes des Nouvelles-Hébrides, de la Nouvelle-Guinée, de larchipel Bismarck, de lîle de Pâques. Déjà il peint beaucoup et sinspire des graphismes dessinés par ces peuplades mointaines pour orner ses totems dressés.
« Je ressens tout intensément et jai été formé ainsi, dit-il. Par ces voyages dans les musées et dans les livres
»

Le papier passion.
Le papier, il la rencontré très tôt. A cinq ou six ans, déjà il en devient avare, refuse de la jeter, nose même pas écrire dessus tant il ladmire, telle une divinité, et le respecte. Parce-que son père, dans larrière-boutique de sa pharmacie, tente de retrouver la formule chimique du vernis à lambre dont se servaient les peintres flamands, Jacques Le Roux commence, à ses côtés, à broyer les couleurs, à mélanger les pigments, à fabriquer les encres.
Alchimiste des colorations, il lest aussi des mots. Quand il pose sur le papier des accords dans lesquels résonnent les teintes, il introduit des mots pour quils entrent dans les couleurs, pour quils fusionnent avec elles. Ainsi naissent ses symphonies de papier, pages aux signes de sang et aux reflets dor pur, surgies du fond des âges, reflets de ses recherches et de ses passions dévorantes qui lui taraudent lâme.
Artisan laborieux Jacques Le Roux pétri sa pâte à papier, fabrique ses encres, taille ses plumes doie et ses calames, fins roseaux que les anciens utilisaient pour écrire. Quand il affine ses pinceaux cest pour, dun seul trait, dessiner des bambous aux silhouettes graciles, quil saisit ployant sous les humeurs du vent. « Je suis alors un vieux peintre chinois
»

Une unité certaine
Même si les uvres présentent une diversité apparente, si chaque réalisation porte en elle une influence différente, le travail de Jacques Le Roux compose une unité certaine, celle de son amour pour les autres, de son intérêt pour la vie. Tout en générosité, il aime recevoir pour redonner ensuite, pour partager. « Le terme que je préfère cest reconnaissance, dit-il. Reconnaître cest le moyen de recevoir en ampleur tout ce que lon essaie de traduire envers un être, envers un événement.
Les civilisations quil rencontre dans ses livres le font vivre et il sapplique à les servir.
Conscient de ses propres complexités, il crée, déversant son trop plein dimages, de sensations, dimpressions, attentif et timide, généreux et secret. Donnant aux autres, mais attendant aussi tout des autres.
« Car, dit-il, les peintures commencent à exister quand les gens commencent à les regarder
»
Maryse CHOLLET
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